Quelques mythes de l’intelligence artificielle (partie 2)

Salut les internautes. Ce billet est la suite d’un précédent billet, que vous trouverez ici.

Les trois récits qui y sont relatés ont plusieurs points en commun, et l’un d’eux est l’intervention d’une force extérieure à l’homme qui donne la vie à la créature. Mais il n’en va pas de même de toutes les créatures artificielles. Si celle-ci est toujours animée par un moyen extraordinaire, surnaturel ou issu de la science-fiction (ce qui est logique, puisque cela n’est toujours pas scientifiquement possible), il se peut que cette puissance soit issue des connaissances des hommes. Il est aussi possible que la force qui anime la créature soit à mi-chemin entre les deux. C’est par exemple le cas du Golem. Le Golem est une créature issue du folklore judaïque, et qui selon les versions est issu de la Bible ou de la création d’un mystique Yehudah-Leib au XVI°s. Dans tous les cas, le golem est une créature humanoïde d’argile auquel on donne vie en lui inscrivant un mot ou une phrase sur le front. La créature prend alors vie, et agit d’elle-même. Elle est dotée d’intelligence et a pour but de protéger le peuple juif contre les agressions dont il est victime. Il est possible de ramener le golem à son état inerte en lui effaçant la phrase qu’il a sur le front (ou en transformant le mot “vie” en “mort” selon les versions). Cette légende s’est perpétrée jusqu’à aujourd’hui et on parle encore du golem dans la littérature. Le golem est même entré dans la culture populaire, dans les romans de science fiction, dans les jeux vidéos et les films. La création d’une entité faite de glaise à laquelle on donne vie, identique à la création de l’homme dans la cosmogonie chrétienne, n’y est pas étrangère.

Les juifs ne sont pas les seuls à avoir utilisé la magie pour créer une créature artificielle. On trouve des récits identiques parmi les alchimistes, les mages du moyen-âge. on trouve ainsi de nombreuses têtes parlantes, parfois même divinatoires, qui auraient été créées par des “mages” comme Albertus Magnus, Roger Bacon et Robert Grosseteste, mais aussi par le pape Sylvestre II. Ces têtes, affabulations parfois largement postérieures à ces personnages, étaient censées être dotées de raison, et parfois même de pouvoirs divinatoires, comme c’est notamment le cas pour la légende de la tête en or de Sylvestre II.

La magie n’est cependant pas la seule à pouvoir donner de l’intelligence à la mécanique. À la fin du moyen-âge, des savants inventent des machines intelligentes qui sont selon eux capables de répondre à des questions de manière “logique”. Ces machines, des disques tournant contenant des symboles, sont d’abord issus d’Orient, et plus précisément d’Arabie où une telle machine, appelée zairja, est composée de disques sur lesquels sont représentées les lettres arabes, dont chacune représente un grand concept philosophico-religieux. On fait tourner les disques de façon à poser une question, à laquelle les disques répondront. Raymon LLulle, qui à cette période voyage en Arabie, voit cet instrument et s’en inspire pour créer une œuvre à laquelle il vouera la majorité de sa vie, et qui de fait se répandra dans les milieux intellectuels de l’époque, l’Ars Magna ou le “Grand Art”. Bien que les dignitaires de l’Église finissent par s’en désintéresser, son succès n’en est pas moindre. Ces machines sont intéressante du point de vue de l’informatique, et en particulier de l’IA, en ce qu’elles sont des machines qui sont supposées répondre à des questions par le calcul. On passe alors de l’utilisation du mysticisme ou de la magie à une recherche de logique et de calcul, ce que l’on peut considérer comme un premier pas vers les machines à calculer, i.e. les ordinateurs.

Enfin, une dernière catégorie abandonne l’idée d’un esprit dans une machine, mais cherche à recréer l’humain dans son esprit d’une part, mais aussi dans son corps. C’est ce qu’on trouve dans le roman de Mary Shelley Frankenstein, mais aussi chez les alchimistes et en particulier dans ceux qui impliquent les homoncules, petits êtres supposées être créés par méthodes alchimiques, et qui sont une reproduction miniature d’êtres humains (on les retrouve notamment dans les Second Faust de Goethe, où Wagner, l’assistant de Faust, en crée un). Dans ces deux versions, les êtres sont faits de chair et de sang, et la création se fait à partir de matière organique. Ils restent cependant des créatures artificielles, et sont particulièrement intéressants car créés selon des méthodes pseudo-scientifiques, que l’on peut aisément qualifier de science-fiction. Là encore, on sent le glissement du mystique et du divin vers une pratique plus scientifique, qui concerne ce sujet comme tous les sujets de l’époque.

Tous ces récits montrent une certaine marche vers la rationalisation, et l’homme, d’invocateur des dieux, essaie peu à peu de devenir son égal, quitte à en subir les conséquences à l’image du docteur Frankenstein, qui paie sa transgression de la vie de son frère, son ami, sa fiancée puis finalement la sienne. Ce sont ces mythes qui sont à l’origine de l’intérêt que nous avons pour les histoires d’intelligence artificielle et de robotique, mais aussi des œuvres qui leur succèdent, à travers la littérature bien sûr, mais aussi le cinéma et maintenant les séries également (Real Humans par exemple). J’espère que ce sujet vous aura plu. Cependant, notez que je ne suis ni historien ni spécialiste de la littérature. Par conséquent, cet article ne reflète que ce que j’ai pu lire dans certains livres ainsi que ce que j’ai pu entendre dans des podcasts. N’hésitez donc pas à commenter et à critiquer (de manière constructive). Si j’ai malgré tout fait cet article, c’est comme je l’ai expliqué parce que cela est important pour comprendre l’évolution de l’IA. J’espère que cela nourrira votre réflexion comme cela a nourri la mienne. J’essaierai de vous donner d’autres éléments de réflexions dans de futurs billets. D’ici là, renseignez-vous, réfléchissez, et surtout, n’oubliez pas de rêver.

Biliographie

  • S.Z. Leiman, “The Adventure of The Maharal of Prague in London: R. Yudl Rosenberg and The Golem of Prague”, Tradition, 36:1, 2002
  • David Link, “Scrambling T-R-U-T-H: Rotating Letters as a Material Form of Thought”. In Variantology 4. On Deep Time Relations of Arts, Sciences and Technologies in the Arabic–Islamic World, eds. Siegfried Zielinski and Eckhard Fürlus: 215–266, 2010
  • Raymond Lulle, L’Art Général Ultime, Cerf, 1308
  • Goethe, Faust et le Second Faust, Garnier frères, 1877
  • Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, La Renaissance du livre,‎ 1922
  • Pamela McCorduk, Machines Who Think: A Personal Inquiry into the History and Prospects of Artificial Intelligence, 2nd edition, A K Peters/CRC Press, 2004
  • Les créatures artificielles, podcast de 2000 ans d’Histoire

Cédric Buron

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