Le théorème d’Arrow

Salut les internautes. Dans les pérégrinations internautiques, je croise beaucoup d’articles politiques qui parlent de nouveaux types de vote, de démocratie directe, et je suis un peu surpris de ne voir que peu, sinon pas, de référence à un théorème pourtant bien connu en économie théorique, j’ai nommé le théorème d’Arrow. Le théorème d’Arrow est nommé ainsi en référence à son créateur, l’économiste Kenneth Arrow (pour les deux du fonds qui ne suivent pas, rien à voir avec le héros masqué. Même pas un cousin ou quelqu’un de la famille). Ce théorème est aussi nommé le théorème d’impossibilité d’Arrow, et ce parce qu’il prouve une impossibilité dans la procédures de vote. Avant de donner l’énoncé du théorème, il faut expliciter ce qu’est un vote. Un vote est une procédure qui prend les préférences de tout les votants et détermine les préférence du système dans son ensemble. Un exemple de vote simple est le vote à la majorité relative à un tour. Dans ce système, chaque votant donne une voix pour une alternative et l’alternative qui récolte le plus de voix gagne. L’ordre établi par le vote correspond à un ordonnancement des alternative en fonction de leur nombre de voix. Maintenant que cela a été bien établi, voyons le théorème en lui-même. Il a été établi en 1951 et s’énonce ainsi :
Dans tout système de vote comportant au moins trois alternatives et deux votant, l’une des conditions suivantes au moins ne sera pas respectée :

  • Unanimité : si tous les votants préfèrent une alternative à une autre, alors la première alternative sera préférée à la seconde par l’ensemble du système
  • Universalité : quels que soient les votes de chaque votant, le système établit un ordre de préférence
  • Indépendance des options non pertinentes : si trois options A, B et C sont ordonnées par le système dans ce sens, alors retirer C des choix ne doit pas changer l’ordre de A et B.
  • Non-dictature : il n’existe pas d’individu tel que le système désigne les préférences de cet individu, quels que soient le choix des autres.

Ce théorème peut sembler un peu abstrait. Détaillons un peu chacune des conditions ci-dessus pour voir que chacune est vraiment désirable pour un système de vote. Commençons par l’unanimité. Cette propriété semble assez logique : si tous les votants préfèrent que l’argent public soit utilisé pour construire une école plutôt qu’une piscine, alors, la piscine ne sera pas construite. D’autre part, si on regarde l’ordre d’arrivée, même si une troisième alternative a finalement été préférée (par exemple construire un jardin public), l’ordre établi par le vote doit refléter la préférence pour l’école.

La seconde propriété est l’universalité. Cette propriété, qui est parfois citée dans les prémisses mêmes du théorème, revient à dire que la procédure de vote ne répond jamais « je ne sais pas ».
L’indépendance des options non pertinentes paraît aussi être une propriété désirable pour un système de vote. Si on retire une alternative non préférée par les votants, l’ordre des autres alternatives ne doit pas changer. En d’autres termes, si je retire la possibilité de construire une piscine (la proposition ayant reçu le moins de voix) dans mes trois choix, et que je refais le vote en laissant les deux autres choix (un jardin ou une école), l’ordre de ces deux choix ne doit pas changer.

La dernière propriété désirable est la non dictature. Si son énoncé peut paraître quelque peu abstrait, son titre dit bien ce qu’il veut dire : aucun individu ne « dicte » sa volonté au système.

Bien, avant de discuter plus avant des reproches faits à ce théorème, voyons quels sont les propriétés violées par les différents systèmes de vote. Commençons par la majorité relative, telle que décrite ci-avant. Supposons que nous ayons trois candidats se présentant à une élection : Alice (A), Bob (B) et Chris (C). Nos avons également dix votants, dont voici les préférences. Quatre ont la préférence suivante : ABC, trois celle-ci : BAC et trois autres cellle-ci : CBA. Dans ce cas, Alice récolte quatre voix, et Bob et Chris en récoltent chacun trois voix. Alice est donc élue. Pourtant, six personnes, c’est à dire la majorité absolue, préfèrent Bob à Alice…
En ce qui concerne notre système de vote favori, le vote à deux tours, le problème est le même. Si quatre votants ont pour préférence ACB, trois BCA et deux CBA, B et A et B passeront au second tour et B sera élu grâce aux votes de ceux qui avaient voté pour C. Pourtant, six votants préfèrent C à B. Cela a d’ailleurs pour effet dans le cas de ces deux systèmes de vote de générer de la malhonnêteté chez les votants. Dans notre dernier cas, les votants ayant pour préférence ACB auront tendance à voter pour C s’ils ont un indice sur les votes des autres (des sondages par exemple), de manière à ce que C soit élu. Notre système, l’élection à la majorité absolue à deux tours, incite donc naturellement à la malhonnêteté, à travers ce que l’on appelle parfois le « vote utile ».

Fermons cette parenthèse et passons au système dit « de Condorcet ». Dans cette méthode, les candidats donnent l’ordre de leur préférence et on fait toutes les comparaisons de paires possibles. Si un candidat est supérieur à tous les autres, il gagne. Le problème est évidemment qu’un tel candidat peut ne pas exister. Prenons l’exemple suivant : trois votants ont pour préférence ABC, deux ont le profil BCA et deux, CAB. Dans ce cas, on a A>B (cinq votants), B>C (cinq votants également) et C>A (quatre votants). Il n’y a donc pas de vainqueur ! Ce système viole la seconde loi, à savoir l’universalité.

Une variante du système de Condorcet consiste à choisir des duels et à faire en sorte que le vaiqueur affronte le candidat suivant. Dans ce cas, l’ordre des duels sera primordial. Ainsi, faire le duel (A vs. B) vs. C mènera C à gagner alors que (A vs. C) vs. B mènera à une victoire de B. Dans les deux cas, l’ordre sera de toute manière à rejeter puisque dans le premier cas B est préféré à C et n’est pas élu, tandis que dans le second, A, qui est préféré à B, sera rejeté.
Je pense que vous commencez à comprendre le fond du théorème, mais prenons un dernier système, le système de Borda qui consiste à ordonner chaque alternative et lui donner un nombre de point opposé à son ordre. Ainsi, pour 3 alternative, chaque position en tête rapportera 2 points à l’alternative, une seconde position 1 points et une dernière position 0 points. Ce système de vote viole une condition que nous n’avons pas encore bien vue, l’indépendance des options non pertinentes. Si les votants ont les préférences suivantes : quatre pour ABC, quatre pour BAC et deux pour CAB, alors Bob l’emporte avec 12 points, pour 10 pour Alice et 7 pour Chris. Cependant, retirer Chris du choix mènera à un score de 6 pour Alice et seulement 4 pour Bob, inversant l’ordre d’Alice et Bob.

Il existe bien sûr d’autres systèmes possibles de vote, mais arrêtons-nous là pour les exemples, et passons aux critiques qui ont été adressées au théorème d’Arrow. La première chose à dire à propos de ce théorème est qu’il est axiomatique. En effet, il repose sur quatre axiomes, quatre propriétés supposées « bonnes » pour un système de vote. Or, s’il paraît logique que de telles propositions sont effectivement bonnes pour un tel système, rien ne le prouve. Certaines critiques du théorèmes se sont donc appuyées sur ce point. Est-il vraiment nécessaire que le système soit unanime ? L’indépendance des options non pertinentes est-elle si importante ? En un mot, le théorème d’Arrow a-t-il des conclusions si néfaste qu’on pourrait le penser à première vue. Il existe, ensuite, plusieurs manières de contourner le théorème d’Arrow. La première consiste à faire appel à un dictateur désigné au hasard (comme cela se pouvait faire à Athènes). Dans ce cas, plus de problème. Enfin, il est possible de procéder à un vote avec approbation, en demandant aux votants d’approuver ou rejeter une alternative, au lieu de leur laisser plusieurs choix. Ce système se résout donc à deux alternatives, réduisant ainsi le théorème d’Arrow au silence. Il pose cependant un problème du point de vue de l’unanimité : Comment élire un candidat parmi une dizaine ? Si les avis sont partagés, il pourrait arriver qu’aucun candidat ne soit élu.

Je conclurai en disant que le théorème d’Arrow a véritablement impacté la confiance en la démocratie, en s’attaquant à son système central, le vote. Il ne s’agit que de l’un des théorèmes établis à cette époque, et on en compte au moins un autre tout aussi important, le théorème de Gibbard-Satterthwaite, dont je vous entretiendrai dans un futur billet. D’ici-là, renseignez-vous, réfléchissez et surtout, n’oubliez pas de rêver !

Cédric Buron

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